Il y a eu un "avant" - Û aban d'are

 

Tous les ans à la même époque, Mathieu, jeune homme de dix-sept ans, rend visite à sa famille en Béarn. Mais cette année, Mathieu a eu envie de connaître ce petit coin de paradis dont sa famille est originaire. Raison de plus. Charlie, son grand-père maternel, veut bien lui faire visiter le village de Sus, où il réside. Du haut de ses sept décennies, Charlie n'a jamais quitté le petit village béarnais.

Un matin d'Août, aux alentours de 10 heures, Mathieu et Charlie marchent dans les bois de Sus, en direction de la Soule voisine. Destination de la visite : la fontaine de Roland. Charlie tente alors de répondre aux questions du jeune curieux comme il le peut.

 

Que veux-tu savoir Mathieu ?

Tout ! Je veux tout savoir sur Sus, sur le Béarn !

Ouf, tout… mon Pauvre, on n’est pas couchés tu sais. Il y en a des choses à dire, bien plus que ce que tu veux bien croire !

Ah oui ? Vraiment ? Parce que quand je fais des recherches sur Sus, je ne tombe que sur des articles parlant d’un golf et d’une secte. Ce n’est pas toujours très joyeux d’ailleurs…

Ah c’est sûr oui. Mais tu sais, à Sus comme ailleurs, il y a eu un “avant”. A Sus par exemple, il y a eu un avant le golf, ou même un avant la secte. On pourrait appeler ça û aban d’are.

« Uo abanne d’aré » ?

Û aban d’are ! C’est du béarnais. Tu as la bonne prononciation ceci dit… Ça veut dire “un avant le moment présent”.

Ces dernières années, Sus est bien entendu connue pour la communauté religieuse et pour son domaine d’activités de Nitot. Mais avant ça, sache que Sus a une histoire quasi millénaire. Tu sais, on retrouve la mention de Sus dès le XIIe siècle. A l’époque, elle aurait été appelée Sus-Maïour, en opposition au Menour de Susmiou, car plus grande. A la fin du XIVe siècle, le village comptait une trentaine de foyers.

A cette époque médiévale, on peut y associer une jolie légende tu sais. Celle de la fontaine de Roland. On dit que Roland, le neveu de Charlemagne, se serait arrêté ici, dans les bois de Sus, pour soulager sa soif et celle de son cheval.

Euh… c’est vrai ça ?

Beh, c’est une légende. Libre à toi d’y croire, mais ça reste une légende.

A la fin du Moyen-Age, je peux même te dire que l’église de Sus a été brûlée par les troupes protestantes. Le seigneur sussois ayant prêté allégeance au culte catholique.

Il y avait au village une abbaye vassale qui dépendait directement de la vicomté de Béarn. Aujourd'hui, ce bâtiment est l'école et la mairie. Il y aurait aussi eu un important quartier de cagots, des parias habiles de leurs mains. Ce qui laisse penser que Sus a connu une certaine activité artisanale, peut-être même qu'elle fût importante.

Sus compte en ses terres trois châteaux : deux belles maisons de maîtres et un autre datant du XVIe siècle. Ce dernier abrite la communauté que tu connais. Dans une histoire plus récente, Sus possédait une épicerie, deux quilliers, un cinéma, un bureau de poste, une gare... la bonne vieille époque tu sais. Je l’ai connu tout ça !

Donc, Sus ne se résume pas qu’à la secte, au golf et aux jeux de mots douteux. C’est cool ça. Il y en a d’autres des villages avec un passé insoupçonné ou méconnu ?

Hmmm… oui, Navarrenx !

Navarrenx ? Un passé insoupçonné ? Vu les remparts, on s’en doute un peu non ?

Oui mais justement, Navarrenx existait bien avant les remparts !

L'histoire de Navarrenx commence dès le XIe siècle, en 1060. Elle est millénaire donc. On parle alors de Navarrensis. Le vicomte du Béarn de l’époque agrandi la ville, qui était alors une ville ouverte. C'est à dire qu'il n'existait pas de Navarrenx en tant que forteresse comme tu la connais aujourd'hui.

Elle disposait aussi d'un pont, en bois, certainement dès le XIIe siècle. Ce pont a été d'une grande importance pour Navarrenx, car il a permis à celle-ci de tenir un commerce. Il permettait aussi aux pèlerins, alors en route pour Saint-Jacques de Compostelle, de traverser le gave d'Oloron. En 1289, le pont de Navarrenx est transformé et rénové. Ainsi, le pont de bois devient pierre.

Ce grand pont a été en bois ? Si grand ?

Affirmatif ! Toujours dans la lancée, Navarrenx devient une bastide en 1316. Navarrenx devient donc une ville fermée par une enceinte de terre et une palissade. Navarrenx avait aussi un château, nommé la Casterasse en bord de ville, mais fut rasé par les Castillans. Désormais, Navarrenx est une bastide. Cela constitue un premier virage dans l'histoire de la cité béarnaise.

En 1385, Gaston Fébus, souverain que tu dois bien connaître, effectue un important recensement sur son territoire. Cette petite information peut sembler anecdotique au premier abord, et en fait très intéressante. Ce recensement nous permet de connaître l'importance de certains villages en des temps plus reculés. Ainsi, nous savons qu'en cette année 1385, 85 foyers étaient présents à Navarrenx.

C’est ce même recensement qui te permet de dire qu’à Sus il y a eu trente foyers ?

Exactement ! Ce n’est qu’en 1538 que la petite ville béarnaise continue de se renforcer. En effet, Henri II d'Albret, alors roi de Navarre et grand-père du futur Henri IV, demande la construction des remparts que tu connais. Ils seront réalisés par l'architecte italien Fabricio Siciliano. Il aura fallu neuf ans pour les construire. Navarrenx devient ainsi la première cité bastionnée de France... du moins, sur le territoire français actuel, car rappelons qu'à ce moment-là, Navarrenx n'est pas française. Pas encore.

Mais… Mais ce n’était pas Vauban les remparts de Navarrenx ?

Du tout ! Mais on sait qu’étant de visite à Bayonne, il serait passé à Navarrenx pour admirer les remparts. Il ne trouva rien à modifier. Il se serait même largement inspiré des travaux de Siciliano.

Ah ouais, donc Navarrenx a eu une histoire bien chargée mine de rien, bien avant les remparts oui.

Eh teh ! A l’inverse, d’autres villes, bien plus connues ou peuplées, n’ont pas le passé prestigieux qu’a eu Navarrenx avant son “virage” !

Dia ?! Mais laquelle par exemple ?

Pau par exemple !

Pau n’a pas d’histoire ? Tu… tu débloques là non ?

Ah non non, Pau n’a pas toujours été la principale ville du Béarn, ni même la capitale. Avant elle, Lescar, Morlaàs et Orthez l’ont été.

A l’inverse de Sus ou Navarrenx, on sait que l’homme préhistorique se trouvait à Pau. On a même découvert un grattoir à silex au pied du donjon du château tu sais.

N’ayant de passé antique, aucune trace romaine n’a été trouvée, tu sauras que si Pau existe aujourd’hui, ce n’est que grâce à la volonté des vicomtes de Béarn, et encore, en tant que pied-à-terre des bergers ossalois en transhumance.

Sans rire ?

Sans rire, je suis très sérieux ! Pau n’est mentionnée que vers 1100, pas avant. Idem pour le château. Dis-toi bien qu’en 1385, lors du fameux recensement, Pau comptait 126 foyers. A contrario, il y avait 436 foyers à Orthez, 413 à Monein, 368 à Oloron et 304 à Morlaàs. Mine de rien.

Ce n’est qu’en 1464 que la cour royale est transférée d’Orthez à Pau. Pau est moins excentrée qu’Orthez. Cette position était plus avantageuse pour créer une réelle place de justice et monétaire. Une capitale en somme.

Tu vois, la troisième ville du Sud-Ouest n’a pas toujours eu l’aura qu’on lui connaît.

C’est pas faux.

C’est quoi que tu n’as pas compris ?

Hein ?

Rien, laisse, tu n’as pas la référence… Mais tu sais, il y a un cas similaire d’aban d’are que personnellement je trouve encore plus impressionnant.

Ah oui ? Lequel ?

Lourdes !

Lourdes ? Mais ce n’est pas en Béarn, si ?

Ah non non du tout, tu as raison. C’est en Bigorre, en actuelles Hautes-Pyrénées. Depuis toute à l’heure, je ne te parle que du passé des communes avant qu’elles ne connaissent un tournant majeur ou un événement marquant : l’arrivée de la secte à Sus, la construction des remparts de Navarrenx, ou Pau devenant une capitale.

Si tu devais me citer un événement de Lourdes, juste un, tu me réponds…

Beh… l’apparition de la Vierge à Bernadette Soubirous ?

Exactement ! En 1858. A ton avis, il y eu un aban d’are à Lourdes ?

Ah beh du coup oui, je suppose, si tu veux m’en parler. Et puis, il y a ce beau château fort à Lourdes qu’on voit depuis la route pour aller à Cauterets. Je suppose qu’il n’a pas été bâti pour la Vierge lui.

Non non du tout. Tu situes l’emplacement de la ville. Dis-toi que l’homme préhistorique a bien apprécié celui-ci et a même établi ses campements dans les très nombreuses cavités et grottes de Lourdes. Des fouilles archéologiques le prouvent : outils, bijoux, sépultures et le fameux “cheval de Lourdes”, sculpté dans l’ivoire de mammouth. Tu le connais au moins de vue, crois-moi.

De là, on a aussi trouvé des restes de murailles romaines ainsi que des morceaux de sculptures et autels. Tu vois, rien que là, il y en a des choses à raconter !

Je vois ça oui ! 1800 ans avant Bernadette Soubirous !

C’est ça. Avançons un peu dans le temps. Au Moyen-Âge, Lourdes possède des remparts et le fort que tu situes bien visiblement. Dans ce fort, les comtes de Bigorre y vécurent. C’est un château qui a connu la croisade contre les Cathares où il a été assiégé, la guerre de Cent Ans où il a été brûlé et la guerre de religions où il a abrité une partie de la population.

Le château devient une forteresse royale à la fin du XVIIe siècle. Il reçoit même la visite de Vauban. Toujours en vadrouille. Il en profite pour faire construire un pont levis. Assiégé sans succès et incendié par le passé, le château de Lourdes a aussi été endommagé par un séisme en 1750. Ce même séisme a d’ailleurs détruit une bonne partie de la ville.

La suite, tu la connais.

Bernadette Soubirous un siècle plus tard.

Exactement ! Tu vois, il y en a des choses à raconter. Alors imagine si je devais te raconter toute l’histoire du Béarn… et des environs. On y est jusqu’à demain ! Après, libre à nous d’en parler comme ça, de temps en temps. C’est déjà super que tu t'intéresses à tes racines, ça me touche tu sais.

Oh, ce n’était pas le but. C’est histoire de profiter de toi aussi… Teh ? On arrive à ta fameuse fontaine non ? Celle de Roland, c’est ça ?

Perspicace Beroy, perspicace. Aller, on va s’y poser un peu.

Berroy ?

Bon, tu en as des choses à apprendre oui encore…

 

Mathieu est certainement rentré chez lui, en ville, avec une autre vision d'un village dont il est originaire. Le Béarn se veut si accueillant et beau, qu'il suffit d'y aller une fois pour se sentir chez soi. Cela dit, il est intéressant de se pencher sur l'histoire, la culture et le patrimoine. Nul n'est prophète en son pays, mais chacun peut y apporter une pierre à l'édifice. Quel que soit notre localité d'origine, elles méritent toutes d'être mieux connues et reconnues : Béarn, Gascogne, Pays Basque... pour ne parler que d'ici bien sûr.

 

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